Philosophie
Discours de Mr. Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication :
« Cher Keisuke Matsushima, À l’heure où le Japon traverse une épreuve sans précédent, avoir le plaisir de vous rendre hommage aujourd’hui revêt une signification particulière.
L’art culinaire, sous l’égide de chefs cuisiniers de votre talent, rivalise avec l’art poétique. Le vocabulaire culinaire a souvent cette capacité unique de délier lui aussi les langues, et de donner à certains mots l’occasion de se parer de référents nouveaux, d’explorer de nouvelles combinaisons, pour mieux adoniser l’expression du goût. Votre interprétation personnelle de la gastronomie française participe de la même logique, elle qui convoque de manière si singulière les traditions culinaires du Japon et de la Méditerranée.
À 10 ans à peine, un enfant de Fukuoka exprime son désir d’ouvrir un restaurant de gastronomie française en France : cette détermination précoce vous amènera très vite à passer à la pratique. Ce sera l’école Tsuji de Tokyo qui marquera le début de votre apprentissage. Au restaurant Vincennes de Shibuya, à Tokyo, vous apprenez en salle les essentiels du service, et vous vous découvrez une réelle passion pour les vignobles français – avec aujourd’hui une prédilection pour les Bourgogne et le Chardonnay.
D’un naturel courageux, vous partez à 20 ans en France, un pays où vous n’avez pas d’autre attache que votre passion du goût. Dans votre tour de France, vous suivez les enseignements de Régis Macon et des frères Pourcel.
Le jour de votre 25ème anniversaire, c’est au coeur de Nice que vous ouvrez votre premier restaurant, le Kei’s Passion, où vous proposez une cuisine aux confins des cultures, dans un autoportrait d’azur. Vos créations internationales, méditerranéenne dans le choix des produits et des parfums, française pour l’inspiration et les valeurs, japonaise pour les cuissons et les détournements inattendus, sont récompensées d’une étoile au guide Michelin, trois ans après l’ouverture du restaurant.
Le soleil niçois vous sourit, vous entreprenez donc l’ouverture d’un second restaurant éponyme, dont vous confiez la direction artistique à Jean Grisoni. Ce lieu vous ressemble : à la fois épuré et sensuel, chaleureux et élégant, empli de discipline joyeuse et discrètement rêveur.
Le plat qui a largement contribué à votre réputation, c’est votre fameux Mille-Feuilles de Boeuf Simmenthal sauce Wasabi – mais je ne résiste pas à la tentation de citer, en prenant mon temps devant un parterre qui attend l’ouverture des buffets, quelques unes de vos spécialités délicieuses : le risotto au gorgonzola et truffe blanche d’Alba, émulsion de jaunes d’oeufs, la daurade royale en carpaccio sauce aïoli et soja. À vue de nez, ma préférence irait sans doute à votre pigeonneau rôti, cuisse en farci et ses abats, suivi du chocolat noir manjari fondant, d’un nougat au miel des Alpes-Maritimes et d’une glace à la pistache.
L’année dernière fut pour vous celle des lauriers infiniment mérités : vous êtes nommé Ambassadeur du Saké au Japon, sous le titre de « Saké- Samouraï », et le guide Gault-Millau attribue trois toques sur cinq au Keisuke Matsushima.
Cette année vous recevez une deuxième étoile, et vous voici aujourd’hui au Palais Royal – un lieu marqué lui aussi par les plus belles aventures culinaires.
Cher Keisuke Matsushima, je salue votre créativité, votre esprit de détournement des patrimoines culinaires, votre détermination aussi – autant de traits de caractère qui font de vous aujourd’hui l’un des plus grands ambassadeurs de la gastronomie française.
Au nom de la République Française, nous vous remettons les insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres. »